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lapachamama
6 mars 2010

Il faut savoir arrêter une guerre perdue !, par Tahar Ben Jelloun

LE MONDE | 26.02.10 | 11h02



On aurait bien aimé appeler au téléphone le président  Barack Obama juste quelques minutes pour lui dire quelque chose de simple, quelque chose d'évident: oubliez l'Afghanistan ! Vous ne gagnerez jamais cette guerre, pas parce que votre armée n'est pas bonne, pas parce que l'ennemi est plus puissant, pas parce que vous manquez d'alliés, mais simplement parce que ce pays est fait de telle manière qu'aucune armée n'a été capable de vaincre les rebelles sur le terrain.

Les Soviétiques qui y avaient envoyé des centaines de milliers de soldats avaient dû se rendre à l'évidence et se sont retirés en transmettant le problème à l'Occident. Dans ce pays aux paysages magnifiques mais complexes et difficiles d'accès, la barbarie a trouvé son refuge, sa source, sa grotte et nargue le monde avec une brutalité sans pareil. Appelons cette barbarie talibans ou trafiquants d'opium ou aventuriers sans foi ni loi. Des gens, au tempérament qu'aucun Américain ne peut percer, ne peut comprendre, sillonnent le pays et le ravagent.

Le 26 février 2001, jour où des talibans ont fait exploser des statues de Bouddha, vestige d'une grande civilisation, statues de terre et de pierre érigées dans le désert pour la spiritualité, datant du IVe au Vesiècle après Jésus-Christ, ce jour-là, le monde civilisé a été vaincu. Ni les musulmans d'Arabie, d'Afrique ou du Maghreb n'ont protesté et dénoncé cet acte de barbarie qui allait être suivi par d'autres attentats cette fois-ci sur des hommes.Depuis que les talibans ont été écartés du pouvoir, les trois quarts des morts civils sont des Afghans.

Le pauvre président Hamid Karzaï, élu dans les conditions que l'on sait, tente de trouver une solution autre que militaire au problème qui ruine son pays. Il a proposé, le 28janvier dernier à la conférence sur l'Afghanistan à Londres, une nouvelle stratégie dite de "réconciliation" avec les talibans "modérés". II espère que ceux-ci déposeront les armes. Il précise: "Ceux d'entre les talibans qui ne sont pas membres d'Al-Qaida ou d'un autre réseau terroriste sont les bienvenus s'ils veulent rentrer dans leur pays, déposer les armes et reprendre une vie normale." Ce qu'il oublie de dire, c'est que la modération n'existe pas dans le vocabulaire taliban.

Si notre coup de téléphone à Obama ne suffit pas ou ne peut se faire, qu'il écoute au moins son général, McChrystal, commandant des forces internationales en Afghanistan qui vient de déclarer au Financial Times: "En tant que soldat, je pense qu'il y a eu assez de combats et je crois qu'une solution politique, comme dans tous les conflits, est inévitable." Comment y arriver? Comment convaincre les insurgés de se mettre à table et de négocier? Ce ne sont certainement pas des étrangers, américains ou européens, qui sauront leur parler.

Seuls des Afghans, sincères et sérieux, pourraient les convaincre d'accepter une paix négociée. Ajouter à ces hommes de bonne volonté des diplomates pakistanais, car le Pakistan joue un rôle important dans cette guerre. Il aide et accueille des rebelles pour des raisons ethniques ou des raisons obscures, politiques, idéologiques, liées probablement au trafic de l'opium et à l'obsession du voisin indien.

Toute solution devrait passer par le Pakistan qui joue une partie trouble et dangereuse. Que le président Obama ainsi que les autres pays présents sur le terrain décident de retirer leurs soldats. Qu'ils négocient avec le Pakistan, qu'ils paient s'il le faut des chefs rebelles qui sont fatigués de cette guerre, qu'ils choisissent une nouvelle stratégie pour éviter que la guerre d'Afghanistan ne s'éternise et devienne pour Obama la tache noire de son mandat. Comme a dit l'ambassadeur américain à Kaboul (New York Times du 26 janvier): "Envoyer des troupes supplémentaires ne fera que décaler le jour de la passation de pouvoir aux Afghans et rendre difficile, voire impossible, le retour de nos hommes dans un délai raisonnable."

En fait, le problème peut se résumer à un conflit entre deux visions du monde. Et l'expérience irakienne a bien démontré qu'on n'exporte pas la démocratie comme on exporterait une boisson gazeuse. Seuls les Afghans peuvent décider de leur sort, et décider d'instaurer le système démocratique ou d'imaginer un système correspondant à leur histoire. Les valeurs de démocratie sont universelles, mais c'est aussi une culture, une pédagogie, un travail quotidien. Il est urgent de renoncer à la force pour trouver une solution à cette guerre. Seules la politique, la négociation, la ruse de la raison sont capables de sauver et ce pays et les hommes venus d'Amérique et d'Europe pour le pacifier.

Si Obama y arrive, et il faut qu'il réussisse, il aura tout le temps et l'énergie qu'il faut pour résoudre un autre conflit, autrement plus grave et plus complexe, celui entre Israël et la Palestine. Plus que jamais, le Proche-Orient a besoin de paix, a besoin de la bonne volonté américaine pour sortir de l'enfer quotidien que connaissent, par exemple, les populations à Gaza, qui viennent en plus de découvrir un autre adversaire, le régime égyptien cherchant sous la pression israélienne à les étouffer en construisant un mur dans les tunnels qu'ils ont été obligés de creuser pour survivre.

Encore une fois, ce ne sera pas par la force que ce conflit trouvera une solution mais par la diplomatie, la raison et l'intelligence du cœur.



Tahar Ben Jelloun, écrivain

Article paru dans l'édition du 27.02.10

 

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